Manon au Teatro Regio de Turin : et Massenet créa la femme
Manon = BB
Manon devient donc Brigitte Bardot, ou plus précisément Dominique Marceau, la jeune femme que l’actrice incarne à l’écran, jugée par une société enfermée dans une morale étriquée, pour avoir assassiné son amant. L’analogie entre ce personnage tourmenté et l’héroïne de l’abbé Prevost paraît d’une évidence imparable, soulignée par les courts extraits du film qui font écho aux situations, projetés avant chaque tableau – ainsi, quand commence celui de Saint-Sulpice, l’orgue retentit alors qu’on voit BB traverser une église et monter à la tribune.
Filant sa métaphore avec brio, Arnaud Bernard situe toute l’action dans un tribunal. Les gradins d’une cour d’assises, où siègent des juges en permanence, seront donc la principale composante du décor. En contrebas, quelques éléments de mobilier transforment l’espace au gré des changements de lieux : un café chic pour l’acte I, une mansarde pour le II, un confessionnal pour Saint-Sulpice… Le Cours la reine devient un magasin de haute couture ? Certes, mais là encore, tout fait sens : quand le chœur chante « Voici les élégantes », ce sont des mannequins qui défilent.
Seule liberté flagrante prise avec le livret : Manon finit par assassiner Guillot de Mortfontaine, ce qui ne contredit pas la narration et renforce le parallèle avec le film de Clouzot. La production brille surtout par l’art des mouvements, qui atteint un rare degré de virtuosité dans les scènes de foule – au I, par exemple, choristes et figurants vont et viennent, s’affairent à leurs discussions ou leurs petites besognes, comme dans la vie réelle.
Portrait criant de… vérité
La distribution tout entière est investie dans ce réjouissant spectacle, à commencer par Ekaterina Bakanova qui, dans le rôle-titre, dessine un portrait de Manon/BB criant de… vérité. Outre un français très correct, l’artiste russe plie avec grâce son soprano à l’évolution psychique de la protagoniste, d’abord avec une agilité éthérée et ingénue (« Je suis encore tout étourdie »), puis ce qu’il faut d’abandon charnel (« Adieu notre petite table »), de liberté dans l’émission et les phrasés (le Cours la Reine, l’Hôtel de Transylvanie).
Le Des Grieux d’Attala Ayan peine, au I, à discipliner son généreux lyrisme comme à se départir d’une encombrante pointe d’accent. Mais d’acte en acte, le ténor brésilien gagne en maîtrise, en concentration, offrant notamment un tableau de Saint-Sulpice des plus touchants, à la fois torturé et méditatif.
Si la basse sonore de Roberto Scandiuzzi fait forte impression, ce Des Grieux père est trop souvent fâché avec la justesse – celle des notes comme celle des mots. Björn Bürger prête en revanche avec bonheur son baryton galbé au personnage de Lescaut, alors que Thomas Morris (Guillot de Mortfontaine), dans un numéro bien rodé de ténor de caractère, sauve l’honneur du chant français – outre la Poussette d’Olivia Doray et la Javotte de Marie Kalinine.
Au pupitre, Evelino Pido met beaucoup de nerf dans sa direction musicale, fouettant les attaques, sertissant les reliefs de la partition. Mais tant d’éclat orchestral a un peu tendance, au début, à perturber l’équilibre avec le plateau. Le défaut se corrige vite, pour laisser place à un discours musical fluide et lumineux, en phase avec la mise en scène.
Manon de Massenet. Turin, Teatro Regio, le 25 octobre. Représentations jusqu’au 29 octobre. A voir sur www.raiplay.it
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